Verdi- La Traviata – « Opera a Palazzo » – Paris- Fondation Dosne-Thiers
La Traviata (version abrégé pour 3 solistes et 3 instrumentistes)
Violetta Valéry : Armelle Khourdoïan
Alfredo Germont : Christophe Poncet de Solages
Giorgio Germont : Jiwon Song
Paris, Fondation Dosne-Thiers, le 8 juin 2021 (générale)
En janvier 1986, le Tout-Paris s’est réuni au Palais Garnier pour assister en habits d’époque à la première de La Traviata mise en scène par Franco Zeffirelli. Tout avait fort bien commencé mais s’est bien mal fini à cause d’un ingrédient avarié servi lors du souper de gala.
Avec Opera a Palazzo, c »est l’inverse qui s’est produit d’une certaine manière. En effet, Emilie Rose Bry qui devait incarner le rôle-titre s’étant retrouvée privée de registre aigu très peu de temps avant cette générale tout aurait pu être compromis si Armelle Khourdoïan n’avait sauvé la représentation et bien mieux que cela, en fait.

Revenons un instant sur le concept, nouveau en France, mais initié à Venise sous le nom de Musica a Palazzo depuis plus dix ans. Il s’agit d' »opéras immersifs » proposés en version réduite (en durée et en nombre d’instrumentistes) dans des palais ou hôtels particuliers où le public (très réduit aussi, jauge sanitaire ou pas) déambule au fil de l’action dans les splendeurs du lieu de prestige et se retrouve au plus près des artistes, les yeux dans les yeux en fait, avec lesquels il finit la soirée lors d’un cocktail déployé dans le parc.

Parfois lors d’une générale, on déplore que les solistes ne chantent pas à pleine voix. Ici on éprouve le sentiment inverse. Les trois solistes, portés par l’intensité de leur rôle, donnent trop de décibels ce qui dans le cadre des deux salons où se déroule l’action nuit au sentiment d’intimité renforcée qui sous-tend ce pari artistique. Ce qui devrait nous donner l »illusion de n’être dit que pour nous est en réalité projeté comme dans l’espace coutumier d’une salle, fût-elle une bonbonnière, alors que nous ne sommes qu’à une dizaine de centimètres des chanteurs et, qu »assis au premier rang, j’ai même pu voir très distinctement la glotte en action de Violetta au moment-même de son mi bémol.
L’illusion immersive souhaitée est aussi un tantinet brouillée par le reflet des spectateurs en tenue d’aujourd’hui dans les glaces qui ornent le salon Thiers qu’on aurait aimé éclairé à la bougie.

Pour autant je suis persuadé que le public concerné sera ravi de sa soirée car le cadre est sublime et tout à fait idoine par rapport au livret, les costumes du célèbre Atelier vénitien Nicolao font leur effet, le champagne servi s’avère délicieux et rare et que la distribution réunie par notre très distingué collègue Hugues Rameau-Crays est tout à fait intéressante.
Armelle Khourdoïan, qui avait chanté la veille ce rôle éprouvant, a relevé le défi du remplacement au pied levé avec brio. Elle possède beaucoup d’atouts pour incarner si jeune encore Violetta : voix prenante et très maîtrisée, physique proprement XIXième siècle, tempérament dramatique de haut voltage. Il lui reste à savoir doser ses effets et à épurer son jeu surtout dans cette configuration si singulière et insolite.
Christophe Poncet de Solages dessine un ardent Alfredo, aux phrasés incisifs, au style probe et à la noble prestance tandis que Jiwon Song (quel nom prédestiné !), à la voix puissante, corsée et gorgée d’harmoniques doit gagner en subtilité comme en présence scénique et polir son émission.
Un chef d’orchestre fameux est annoncé bientôt qui fera sans doute revivre le concept hors de notre capitale alors que les organisateurs songent à donner aussi à ce projet très prometteur une dimension sociale.
Jérôme Pesqué
PS : Cette Traviata est donnée tous les jeudis et vendredis de juin, le samedi 26 juin, les 1, 2, 8 et 9 juillet 2021 à 19h30.
