Opera a Palazzo, la Traviata dans un salon
La crise sanitaire et ses conséquences sur la culture n’ont pas refroidi le sens entrepreneurial d’Opera a Palazzo qui importe à Paris un concept venu de Venise : l’immersion d’un public restreint dans une Traviata jouée dans les salons d’un hôtel particulier.
À partir de ce mercredi 9 juin, la Fondation Dosne-Thiers (qui accueille une bibliothèque de 66.000 volumes) accueille une trentaine de spectateurs par représentation dans ses salons. Le concept de cette nouvelle proposition artistique est de placer le public au cœur de l’action de La Traviata (dans une version réduite à 1h30). À quelques mètres des artistes (trois instrumentistes accompagnant trois chanteurs), un nouveau rapport à l’œuvre se crée, plus intense : chaque détail de l’interprétation scénique est perceptible (et encore, les interactions avec le public devraient être plus fortes au fur et à mesure que les contraintes sanitaires se desserreront). Il reste toutefois recommandé aux futurs spectateurs de lire l’argument de l’œuvre avant, le spectacle n’étant (logiquement) pas surtitré (et même si le programme de salle met le livret à disposition).

En ce jour de répétition générale, certains aspects peuvent encore être peaufinés : l’utilisation de cette proximité avec le public pourra se faire plus prégnante, notamment par une meilleure exploitation de nuances piani, la spatialisation du son (lorsque la voix d’Alfredo se fait entendre dans le Sempre libera, par exemple) ou la fluidification du déroulé de la soirée. De même, l’attention aux détails se fait plus pressante, du fait de la proximité : ainsi, l’alliance portée par l’interprète d’Alfredo, sans doute invisible dans une salle d’opéra, pourrait prendre ici un sens dramaturgique fâcheux. Mais déjà, la magie opère et les frissons pointent dès l’entrée des artistes, lorsque le regard de l’interprète croise celui du spectateur ou lorsqu’une intonation plus expressive marque le désespoir d’un personnage.

Armelle Khourdoïan dans le rôle de Violetta ressort du trio de chanteurs par sa force expressive et l’intensité de ses regards. Tremblante de la tête aux pieds à l’acte II, elle semble pleurer réellement lorsque Germont lui demande de renoncer à Alfredo. Sa voix chaude et épaisse se montre agile dans les vocalises et se perche avec facilité dans de puissants suraigus.
Christophe Poncet de Solages en Alfredo reste un peu raide dans son jeu scénique, ce qui nuit à l’expressivité de son interprétation. Il dispose d’un timbre corsé à l’aigu vaillant (mais qui perd parfois très légèrement en justesse) et d’un fin vibrato. Plus à l’aise dans la rigueur de l’amant malheureux dans le second tableau de l’acte II (réduit à 2 petites minutes du fait de l’absence de chœur), il y gagne en assurance, y compris vocale.
Jiwon Song campe un Germont d’abord implacable puis plus doux lorsque la carapace est brisée par les pleurs de Violetta. Sa voix généreuse (mais qu’il sait contenir pour ne pas déséquilibrer les duos) et structurée offre un timbre épanoui et un vibrato rapide. Sa musicalité et ses graves chaleureux participent de la réussite de la soirée.

Katia Weimann au piano, Roxana Rastegar au violon et Cecilia Careno au violoncelle s’autodirigent, les départs étant marqués d’un souffle, dans une attention constante aux chanteurs. Certes, les nuances pourraient être plus variées (les premières mesures de l’ouverture, par exemple, réclameraient une plus grande finesse de trait), mais elles parviennent tout de même à porter à trois l’expressivité d’un orchestre.
Ce spectacle, qui s’accompagne d’une visite des lieux et d’un cocktail, est construit pour offrir une soirée haut-de-gamme complète (la place est proposée à 350 €).
Par Damien Dutilleul